L’effet Lucifer dans la prison de Zimbardo

Publié: 6 juillet 2014 dans La face cachée de la Lune
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expérience de Stanford

 

Pour commencer cette section sur les chapeaux de roues quoi de mieux que de faire un article sur l’expérience de Stanford mené par Philip Zimbardo en 1971 ? A côté de cette expérience la télé-réalité paraîtrait (presque) innocente. Au départ Zimbardo cherchait simplement à comprendre la raisons des conflits pouvant exister dans les prisons. Il pensait que le contexte expliquait l’activation de certains comportements en dépit de la personnalité propre des individus concernés. Autrement dit les particularités du système carcéral se devaient d’expliquer les difficultés rencontré dans les prisons. 

Plutôt que d’observer directement un vrai centre de détention Zimbardo eu l’idée de recréer de A à Z une prison dans les sous-sol de l’université de Stanford. Il sélectionna lui-même les participants de son  expérience via des petites annonces (il s’agissait d’étudiants). A l’origine les participants (au nombre de 24) furent choisi de façon raisonné, ils passèrent des tests pour s’assurer de leur stabilité et de leur maturité, les candidats jugé potentiellement instable furent écartés. Zimbardo divisa le groupe en deux et distribua les rôles par tirage au sort. 12 des étudiants devinrent des prisonniers et les 12 autres les gardiens de la prison. Les participants n’avaient plus qu’à attendre le coup de fil leurs annonçant le début des festivités de l’expérience. Les prisonniers en tout cas ne furent pas déçus, ils eurent la (mauvaise ?) surprise d’être tiré du lit par de vrais policiers qui leurs mirent les menottes aux poignets et les amenèrent en voiture et toute sirène hurlante à l’université. Mise dans l’ambiance garantie ! 

En admettant que les tout nouveaux prisonniers aient pu profiter du trajet pour se réveiller ils étaient loin d’être arrivés au bout de leur peine. Nous sommes le 17 Août 1971, les participants ne le savent pas encore mais leur vie est sur le point de basculer. D’abord les étudiants doivent entrer dans leur rôle, pour cela les gardiens sont habillés d’un uniforme beige, d’une matraque et de lunettes de soleil (pour éviter le contact visuel). Les prisonniers quant à eux se voient remettre une blouse qu’ils devront porter sans sous-vêtements associé à des tongs, sur leur tête ils devront avoir un bas couleur chair pour donner l’impression qu’ils sont rasés. Ils ne seront identifier que grâce à un numéro et vivront H 24  dans les différentes cellules de la prison, les gardiens ont préalablement reçu une formation et auront le droit de rentrer chez eux à la fin de la journée. 

gardien de la Stanford prison.

je sens qu’on va bien s’amuser…

Le premier jour. 

Après un petit tour par le poste de police tout le monde se retrouve sur les lieux de l’expérience. Chacun se glisse petit à petit dans son nouveau rôle, découvre les lieux et apprend le fonctionnement de la prison. Entre autres joyeusetés les prisonniers sont lavés avec des produits anti-parasites et doivent avoir aux chevilles des chaines dans le but d’entraver leurs mouvements. Les prisonniers devront rester dans leurs cellules, les gardiens peuvent user de tout les moyens nécessaires pour gérer les prisonniers mais pas forcément de la violence. Cette première journée est plutôt calme, chacun joue le jeu. Un « comptage des prisonniers » est mis en place pour que tout le monde apprenne les numéros d’identification. 

Le deuxième jour. 

Une émeute éclate parmi les prisonniers, ces derniers ont pris l’initiative de bloquer les portes de leurs cellule avec leurs lit et refusent de coopérer. Les gardiens mettent un certain temps à juguler la crise n’hésitant pas pour tenter de rétablir l’ordre à user de divers moyens comme asperger les rebelles avec des extincteurs (ils en ont pris initiative !), ils décide par la suite de créer une mauvaise cellule où les conditions de vie seront particulièrement difficile (pas de lit juste un matelas par exemple) et une bonne cellule dans laquelle il sera plus agréable de vivre. Le but est de faire croire aux prisonniers que se cachent des informateurs, ou une façon de mettre en pratique le vieil adage « diviser pour mieux régner ». Cela fonctionne et un prisonnier est désigné comme bouc émissaire et enfermé dans la mauvaise cellule. A la fin du deuxième jour un premier prisonnier (le prisonnier 8617) doit quitter les lieux car ses réactions deviennent inquiétantes. 

Le troisième jour.

La situation continue de se dégrader. Le moment de l’appel des prisonniers devient un calvaire, il dure des heures pendant lesquelles les gardiens font subir des humiliations de tout ordre (les prisonniers sont notamment contraints d’effectuer des exercices physique pendant une durée indéterminée). L’accès aux toilettes devient très réglementé voire impossible, la plupart des prisonniers doivent se soulager dans des seaux qu’ils n’arrivent pas à vider car les gardiens refusent. La privation de nourriture est souvent pratiqué. Fait marquant : un prisonnier écrit une lettre à sa famille et la signe… avec son matricule ! Un autre prisonnier commence à développer d’important troubles émotionnels et doit quitter l’expérience. Un des gardiens particulièrement cruel est surnommé par les prisonniers « John Wayne. » 

gardiens et prisonniers à Stanford

Le quatrième jour.

Les heures ne sont plus qu’une longue suite de contraintes pour les prisonniers, les gardiens les harcèlent sans cesse en les forçant à exécuter leurs moindre désirs comme faire des pompes, rester debout en permanence etc… ils aiment à leurs faire répéter le règlement qu’ils ont eux même créé. Les prisonniers doivent notamment psalmodier un nombre incalculable de fois cette phrase : « Smoking is a priviliege » en étant debout les mains au mur et du même coup subir les gardiens qui les contraignent à ne fumer que quand ils leurs en donnent l’autorisation (alors que ces derniers ne se privent pas d’en griller une !), il en va de même pour aller aux toilettes, manger… N’en pouvant plus le prisonnier 819 se barricade alors dans sa cellule. Il est pris en charge par Zimbardo qui lui propose de partir mais alors qu’il doit rendre sa décision il entend les autres prisonniers reprendre en chœur des insultes à son égard, ces derniers lui reprochant entre autre choses d’être lâche. Le prisonnier fait une crise de nerfs mais malgré tout demande à continuer, finalement il devra partir. Mais des rumeurs d’évasion commencent à circuler, Zimbardo décide alors de déménager toute l’expérience dans les locaux de la police de Stanford qui refuse. Zimbardo se met en colère après eux, plus tard il admettra s’être trop pris au jeu (il jouait le rôle du directeur de la prison).

Le cinquième jour.

Le prisonnier 416 qui remplace un des prisonniers parti précocement s’offusque des conditions de vie qui se sont fortement dégradés en entament une grève de la faim. Il fut enfermé dans un placard minuscule pendant trois heures, pendant ce temps les gardiens mais aussi les camarades du prisonnier devait à tour de rôle frapper sur la porte du placard en insultant celui qui était à l’intérieur. Il est tout bonnement devenu inadmissible qu’il puisse y avoir de la désobéissance au sein de la prison. Ce fut aux autres prisonniers de décider de son sort via un dilemme que posa les gardiens. S’ils acceptaient que leur camarade ne sorte il fallait qu’ils sacrifient leur couverture pour la nuit. Ils choisirent de garder leur couverture et le prisonnier 416 resta pour la nuit. Zimbardo intervint et ramena le prisonnier à sa cellule. Les lieux deviennent réellement insalubre, la violence ne fait que s’amplifier surtout la nuit car les gardiens pensaient que les caméras chargés de filmer étaient éteintes (ce qui n’était pas le cas). Remarquons au passage que de nombreuses personnes sont allés dans la prison au cours de l’expérience, à commencer pas les familles des participants pourtant il n’y eu a aucun moment des remarques ou des inquiétudes au sujet de la situation (il faut tout de même souligner, au moins au début, que l’ambiance dans la prison était un peu plus agréable pendant le temps des visites !). Concernant les violences nocturne il faut rappeler qu’à l’origine les gardiens pouvaient rentrer chez eux le soir mais que rapidement ils décidèrent dans un esprit particulièrement zélé de rester sur place en permanence. « John Wayne » se montre particulièrement virulent envers les prisonniers (c’est lui qui met au point « la punition » du prisonniers 416) mais aussi envers les autres gardiens qui doivent lui obéir au doigt et à l’œil. 

Stanford prison

Un réalisme au delà de l’imaginable

Le sixième jour. 

L’ancienne étudiante et compagne de Zimbardo Christina Maslach se rend à la prison (pour interviewer les prisonniers) et se scandalise de ce qu’elle y voit.  Il lui faudra insister et aller jusqu’à menacer de rompre avec lui pour qu’elle parvienne à convaincre Zimabardo de tout arrêter. L’expérience est finie, elle devait durer au moins deux semaines et n’a finalement pas tenue sept jours. 

Et après…

Très vite de nombreuses critiques fusèrent. Les tests utilisés n’auraient pas été des plus efficaces pour pouvoir juger des tendances sadique de quelqu’un, en choisissant de jouer un rôle dans « sa prison »Zimbardo a perdu toutes chances d’être l’observateur objectif qu’il aurait dû être. Éthiquement parlant  cette expérience est hautement discutable : les sujets n’ont pas été informé clairement de toutes les modalités de l’expérience, ils ont subi toutes sorte d’outrages d’ordre physique et psychologique, ils ne pouvaient quitter l’expérience même s’ils en émettaient clairement le souhait. 

Des participants furent interrogés par la suite sur ce qu’ils ont vécu (notamment 40 ans après), ils révélèrent de nombreux dysfonctionnements au sein de la prison. Entre autres le choix des rôles n’aurait pas été tout à fait aléatoire, certaines règles prévalant n’existaient pas pour de bon dans les vraies prisons. Ils expliquèrent aussi que tout les gardiens n’agissaient pas de la même façon (1/3 qui se comportaient comme il se devait, 1/3 étaient particulièrement gentils avec les prisonniers les aidant le plus possible et 1/3 avaient un comportement particulièrement cruel en particulier le fameux « John Wayne ») cette information est intéressante car elle contredit l’idée de départ de Zimbardo comme quoi c’est la situation qui prévaut dans le choix d’un comportement (si tel avait été le cas tous les gardiens auraient eu à peu près le même comportement).  

Cette expérimentation a été l’objet d’un livre et de deux films. Zimbardo fut consulté à plusieurs reprises et il s’impliqua même dans l’affaire des abus de la prison d’Abu Grhaib en 2004.

Pour en savoir plus :

  • Le site officiel de Philip Zimbardo.
  • Une revue édité à Stanford 40 ans après les faits avec notamment le témoignage de certains participants. (en)
  • Un reportage sur cette expérience avec des explications et des images d’archive. (en)

 

 

 

 

 

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